Il est presque inconnu en France. Il est presque oublié aux Etats-Unis. Pourtant, il fut un athlète, un diplômé, un polyglotte, un chanteur, un acteur, et un militant. Il fut une vedette internationale, et un des grands hommes Américains du XXème siècle.
Cinéma et musique
Né en 1898, fils d’un esclave marron devenu pasteur, Paul Robeson est le troisième étudiant noir accepté à l’Université Rutgers, dans le New Jersey. Remarqué pour son talent dans de multiples sports, et en particulier le football américain – il est élu à deux reprises meilleur joueur des Etats-Unis dans sa position -, il n’oublie pas néanmoins de sortir major de sa promotion, et d’entrer à Columbia où il étudie le droit. Diplôme en poche, il entre dans un cabinet de juriste, dont il ressort rapidement en claquant la porte, chassé par le racisme ambiant. Il se lance alors dans une carrière d’acteur et de chanteur.
Paul Robeson joue dans des films très divers ; des films de divertissement tels que les premières adaptations des aventures d’Allan Quatermain, ainsi que des films sociaux typiques de la période de la Grande Dépression. Il joue également dans des productions prestigieuses : il est ainsi le premier noir à interpréter Othello en Amérique ; cette adaptation de la pièce reste à ce jour l’adaptation de Shakespeare restée le plus longtemps à l’affiche à Broadway.
Ses succès sont également très importants dans le domaine de la chanson : il possède en effet une voix de basse exceptionnelle d’une tessiture très grande, et devient un interprète très apprécié, dont les tournées de concerts rencontrent un énorme succès populaire et international. Son registre est varié, comme ses rôles d’acteur : il est le premier à enregistrer les negros spirituals, chants populaires nés de la souffrance des esclaves noirs. Il chante aussi des productions d’époque d’une veine plus folklorisante, et dont les paroles, a posteriori, font un peu « Case de l’Oncle Tom », mais que son talent et sa sincérité sauvent : son plus grand succès, Ol’ Man River, fait partie de ces chansons. Enfin, il chante des chansons engagées, comme le chant des marais, Joe Hill, le Chant des Plaines…
Un engagement international
Paul Robeson est en effet un homme engagé. Par son statut d’artiste de renom international, il se trouve dans une position privilégiée, dans une Amérique encore gangrenée par le racisme, où la ségrégation est une réalité et où le Ku Klux Klan possède une emprise certaine. Il profite donc de ce statut pour militer pour les droits des noirs, et en particulier contre les lynchages. Au cours d’un voyage en Europe, il a découvert le socialisme à travers les grèves des mineurs gallois. Ayant ressenti en eux une fraternité, sans barrière de race, pour la première fois, il estime à partir de ce moment que seul le communisme peut libérer et assurer l’égalité des hommes. Ces convictions en font un ardent soutien de l’URSS. Mais le vent tourne autour de lui ; si l’Amérique de la Seconde Guerre Mondiale a une certaine sympathie, ou tolérance, pour son alliée l’URSS, ce n’est pas du tout le cas de l’Amérique de l’après-guerre. Dans ce qui devient le chef de file du bloc occidental, les opinions de Paul Robeson deviennent de plus en plus impopulaires.
Ne se souciant pas de mettre de l’eau dans son vin, voyageant souvent en Union Soviétique, Paul Robeson est épinglé par la Commission sur les activités anti-Américaines de McCarthy. En 1950, son passeport lui est retiré, pour huit ans ; il est réduit au silence, presque assigné à résidence, ses concerts sont interdits ou boycottés, ce qui brise moralement cet homme sociable aimant voyager et rencontrer du monde. Quand son passeport lui est rendu, il recommence à se produire à travers le monde, mais sa santé ne suit pas : il est hospitalisé à Londres, puis aux Etats-Unis. À partir de ce moment, c’est la maladie qui l’empêchera de voyager.
Une voix à contre-courant
Le retour du passeport n’a pas non plus été suivi d’un retour en grâce. On ne pardonne pas à Paul Robeson sa fidélité à l’URSS, à l’heure où les crimes du communisme deviennent de plus en plus apparents. Malgré son rôle de précurseur, il est laissé de côté par les leaders du mouvement des Droits Civiques, qui craignent d’être associés à ses opinions politiques. Cette réprobation, comme son absence de la scène publique vont dans le même sens : c’est presque oublié qu’il meurt en 1976.
Paul Robeson a été effacé en même temps que l’héritage social de l’Amérique des années 30, de Roosevelt, par l’Amérique d’après-guerre qui, en voulant s’ériger comme l’antithèse absolue de l’URSS, s’est aussi coupée d’une partie d’elle-même. Cet oubli est bien sûr encore accentué aujourd’hui par la chute du communisme, la dénonciation de ses crimes, qui décrédibilisent toute alternative au capitalisme triomphant, en particulier les modèles du passé.
Et pourtant l’œuvre reste. Si les hommages officiels ne se bousculent pas – un timbre commémoratif, malgré tout, en 2004 – , les moyens de communication d’aujourd’hui, l’Internet 2.0, permettent de trouver de nombreux enregistrements de ses interprétations, mis en ligne par des amoureux du chanteur d’Ol’ Man River. Des blogs démontrent une admiration certaine pour cet homme aux talents multiples. Les sites marchands nous montrent que des albums de ses succès n’ont jamais cessé d’être réédités. Certains de ses films, qui étaient devenus totalement introuvables, sont récemment ressortis en DVD aux Etats-Unis.
À contre-courant de la marche du monde durant sa vie, Paul Robeson reste à contre-courant aujourd’hui. Mais sa voix et sa personnalité ne sont pas de celles qui se laissent effacer.
Par Julie Le Mest
Paul Robeson en ligne :
Les curieux pourront trouver de nombreux enregistrements de Paul Robeson et des extraits de ses films au moyen d’une simple recherche sur Youtube.
Les albums :
Difficiles à trouver en France, on peut cependant les commander en ligne. Personnellement, je recommande A Lonesome Road, qui contient des negro spirituals et les meilleures compositions d’époque et Songs for Free Men, des enregistrements de chansons engagées effectués pendant la seconde guerre mondiale.
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